On a vu ces derniers jours beaucoup de métaphores comparant l’annonce de la dissolution de l’Assemblée à un “grand coup de poker”, ou à un “bluff risqué” de la part d’Emmanuel Macron.
Je souris toujours à la lecture de ce genre d’article. Ayant été professionnel de poker pendant quelques années avant de me lancer dans mon activité actuelle, je constate souvent que la plupart de ces articles ont été écrit par des spécialistes de la politique certes… mais ne connaissant manifestement pas grand chose au poker.
Permettez-moi, en tant qu’opposé de cette définition, à savoir spécialiste du poker ne connaissant pas grand chose à la politique, de vous proposer une expérience inverse.
Et si, au delà de la métaphore, nous pouvions analyser le geste du Président non pas sous le prisme de la politique, mais sous celui du poker ?
En comprenant pourquoi les joueurs de poker agissent comme ils le font, peut-être cela nous offrira-t-il des perspectives intéressantes permettant de mieux comprendre les intentions du Président ?
Pourquoi un joueur de poker bluffe-t-il ?
Lorsqu’on parle de bluff, on pense tout de suite à mensonge, vice, attitude déraisonnable… S’il y a effectivement un risque inhérent à chaque bluff, il n’y a rien en revanche rien de plus raisonné et de pondéré qu’un (bon) joueur de poker. Sisi, je vous assure. Regardez le top 10 mondial, vous verrez qu’ils ressemblent plus à des mathématiciens de la Nasa qu’à des cowboys… Le fait est que lorsqu’un joueur décide de bluffer, qui plus est pour un montant important, il le fait pour 3 raisons principales :
1. Prendre l’initiative, et éliminer des adversaires
Derrière une mise, il y a toujours une intention.
-Soit, quand on a une bonne main, faire de la “value”, c’est à dire valoriser la force de sa main, et se faire payer par des mains moins bonnes que la sienne. (Exemple, j’ai les AA, et je value contre les QQ)
– soit de bluffer, c’est à dire de faire croire qu’on a une bonne main, pour faire coucher des mains qui sont meilleures. (Exemple, j’ai 72 et je bluff 88)
Si l’on veut vraiment analyser la dissolution de l’Assemblée sous le filtre du poker, alors il faut considérer que ce coup est un énorme bluff. En effet, recueillant actuellement 15% des intentions de votes, l’équité de Renaissance, c’est à dire sa probabilité de gagner face à l’entièreté de la classe politique, est minuscule.
Et au poker, lorsqu’il a une main fragile, un joueur sait qu’il ne peut pas jouer contre toute la table. Il veut éliminer un maximum d’adversaire, d’où l’intérêt d’une grosse mise, qui va les obliger à faire des choix difficiles. Un enjeu important polarise les réactions : seuls ceux qui se sentent suffisamment aptes pour continuer vont payer.
Force est de constater que c’est peu ou prou ce qui est entrain de se passer avec une partie de la classe politique : sous la pression de l’enjeu, les petits partis sortent du jeu et la droite se fracture : Les Républicains sont déjà entrain d’imploser, Reconquête! n’est pas loin du même sort.
Mine de rien, en l’espace de 3 jours, Macron a déjà réussi à affaiblir considérablement deux adversaires qui réunissent près de 12% des intentions de vote actuelles… Etait-ce un coup de chance ? Difficile à dire, mais ce qui est sûr, c’est qu’une partie de ces 12% lui reviendra au moins partiellement.
2. Créer de l’imprévu et se faire confiance pour mieux s’y adapter que les autres
Au poker, il n’y a rien de plus facile que de s’adapter à un joueur qui a toujours la même stratégie. Il suffit de trouver la contre-stratégie optimale, et d’attendre le bon spot pour faire un maximum de dégats.
En revanche, rien n’est plus difficile que de contrer un joueur imprévisible, capable de sortir des sentiers battus, et de jouer de temps en temps un move énorme qui nous amène dans un spot que l’on avait jamais travaillé auparavant.
Dans un contexte où les scores de l’extrême droite montaient depuis plusieurs années, la dynamique politique était finalement sans grande surprise pour Macron, et peut-être lui semblait-il plus risqué d’arriver aux présidentielles dans 2 ans dans une situation identique, qu’en essayant de rebattre complètement les cartes.
Il se dit d’ailleurs que depuis plusieurs semaines, une cellule de l’Elysée travaillait à un scénario de dissolution de l’Assemblée post-Européennes. En proposant cette dissolution qui pris tout le monde de cours, et une date pour les législatives aussi rapprochée, Macron a probablement voulu placer ses adversaires dans un spot où ils n’auraient pas le temps de s’adapter, tout en ayant lui-même déjà préparé sa stratégie à l’avance…
3. Prendre de l’information pour réévaluer plus tard
Le dernier intérêt d’un bluff, c’est qu’il peut se dérouler en plusieurs temps. Après le premier move, on a joué et on a donc tout loisir d’observer l’adversaire et d’obtenir de l’information sur ses intentions. En terme technique, on essaie à ce moment de définir les ranges adverses, c’est à dire l’éventail de ses possibilités, et on peut dès lors mieux s’y adapter…
On a déjà parlé de la réaction de la droite, qui est entrain d’échouer à tirer son épingle du jeu. Celle de la gauche est aussi intéressante, car elle est entrain de parvenir à faire front commun pour présenter un parti unique le jour J, réunissant ainsi 4 petites équités en une équité massive de plus de 30%.
A la table de poker de la France, la partie s’est “simplifiée” pour le Président. Il joue désormais à 3, avec l’extrême droite et la gauche. Scénario qu’il connait bien et qui ressemble à son jeu de confort, car c’est toujours dans ce genre de situation qu’il a réussi à capter les électeurs des deux bords.
Quel est le prochain move? Un autre bluff? De la value cette fois-ci? Même pour un joueur de poker aguerri, il est encore trop tôt pour aller plus loin… Il reste des cartes à apparaître, qui peuvent changer toute la dynamique de la partie.
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’avant l’abattage final des législatives, cette sur relance inattendue aura eu le mérite de rebattre complètement les jeux et de nous offrir une partie politique plutôt intéressante…
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